Elephant (2003)



Gus Van Sant revient, avec Elephant, sur la fusillade de Columbine, durant laquelle, le 20 avril 1999, deux adolescents tuent douze lycéens et un professeur.  Elephant évoque le même évènement que le documentaire de Michael Moore, Bowling for Columbine , réalisé un an plus tôt. Pourtant l’approche est sensiblement différente. Michael Moore soutient une thèse et trouve des explications alors que Gus Van Sant a une approche artistique du drame, il se contente de montrer sans vouloir l’expliquer à tout prix.
On retrouve dès la première scène du film, le double rappel à la fois du plan sur les nuages et le parcours en voiture également présent dans Gerry, comme pour rappeler une certaine continuité cinématographique. On retrouve une continuité également dan le plan qui film les nuages.
Le travail sonore est particulièrement soigné depuis Gerry. Alors que le son était auparavant une manière d’accompagner le montage et de suivre la narration, il devient à partir de Gerry un moyen d’insinuer ce qui va se passer ou de provoquer le décalage avec l’action. Le grondement revient régulièrement pour symboliser la menace qui se précise.

La Sonate au Clair de Lune de Beethoven qui est utilisée pour caractériser la mélancolie des deux adolescents futurs bourreaux, est saisissante tant le décalage est marqué entre la grâce de la musique et l’horreur qu’ils préparent.



Les silences sont souvent utilisés pendant des scènes où l’on attend tout sauf l’absence de bruit. C’est le cas durant toute la séquence de la fusillade où le silence presque irréel qui règne n’est perturbé que par quelques bruits accentués, comme les pas, l’eau qui coule et les tirs.
Gus Van Sant se réapproprie  l’événement en lui donnant une forme artistique. Il ne veut pas intellectualiser inutilement la tragédie mais plutôt faire ressentir. En cela, on ressent l’héritage d’un autre réalisateur Alfred Hitchcock, dont Gus Van Sant est particulièrement sensible. Gus Van Sant partage le concept de la célèbre phrase d’Hitchcock, « Un film n'est pas une tranche de vie, c'est une tranche de gâteau ». Dans « Elephant » l’objectif n’est pas de reconstituer de la manière la plus fidèle ce qui s’est passé. Même si il est évident pour le spectateur que l’on parle de Columbine le nom du Lycée, et de la ville ne sont à aucun moment mentionnés dans le film pour permettre une certaine distanciation.  Gus Van Sant fait de l’événement une œuvre artistique stylisée, qui se caractérise par deux éléments principaux d’un côté l’espace et d’un autre le temps. On retrouve ainsi deux éléments fondamentaux du film précédent.  D’une part il y a l’espace. Les personnages évoluent dans de longs couloirs, qui forment presque un gigantesque labyrinthe dans lequel les personnages se perdent, au sens propre comme au sens figuré.
D’autre part, Gus Van Sant effectue un travail sur le temps.



Van sant elephant carrefour 2003
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Il multiplie les points de vue, faisant se croiser les chemins des divers protagonistes. Comme pendant la scène centrale du film, reprise par les trois points de vue des personnages.




Les allers et retours temporels que se permet le réalisateur, peuvent déstabiliser le spectateur néanmoins ils enrichissent considérablement le récit. Le temps est une nouvelle fois dilaté avec cette répétition. L’impression  de lent cheminement vers la mort n’en est que plus renforcée, on se rend compte à ce moment que la situation mènera inéluctablement à une issue fatale.  Gus Van Sant a réussi à créer une atmosphère de bulle au sein du lycée, mais une bulle qui ressemble à une boucle et à un piège que l’on sait inéluctable avant même que le récit commence. La symbolique des deux scènes qui encadre cette bulle est particulièrement forte. La première scène du film, laisse paraître un ciel chargé comme si une forte tension s’en dégageait annonçant déjà la tragédie. A l’inverse, la scène finale reprend en signe de conclusion, le même plan mais le ciel est maintenant dégagé, comme si il était à présent purgé de la violence qui couvait.




Dans ce film où chaque plan séquence regorge de symboliques, Gus Van Sant continue son minutieux travail d’expérimentation qui le conduit à imposer ses propres codes et à définir ce qui devient progressivement son style. 
Elephant est surement moins expérimental que Gerry et le perfectionnisme apporté à chaque plan encore plus poussé. Si bien, que ce style atypique développé par Gus Van Sant commence à être unanimement reconnu et encensé. En témoigne le triomphe qu'il reçoit à Cannes avec Elephant, où il remporte la palme d’or en 2003.